Lu dans Le Monde de ce matin:
« Dans un rapport sévère sur les politiques de lutte contre la pollution de l’air, remis le 23 septembre, la Cour des comptes reprochait notamment à l’Etat un manque d’évaluation des dispositifs censés favoriser l’achat de véhicules à faibles émissions. Le Réseau Action Climat (RAC) vient combler cette lacune. L’ONG, qui fédère les principales associations de défense de l’environnement, publie vendredi 2 octobre une vaste étude visant à mesurer l’impact écologique mais aussi social des trois principaux mécanismes : le malus automobile, le bonus écologique et la prime à la conversion. Piloté notamment par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, le rapport, d’une centaine de pages, propose de réformer de fond en comble des dispositifs jugés « peu efficaces ».
Premier constat : l’évolution du marché automobile est en « incohérence avec l’urgence climatique ». Le trafic routier est le premier contributeur de gaz à effet de serre. Or, après des années de baisse, depuis 2016, les émissions de dioxyde de carbone (CO2) des voitures neuves repartent à la hausse. Certes, la part de marché des véhicules électriques progresse en France pour atteindre 7 % des ventes au premier semestre. Une évolution en phase avec les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie de 2020 mais très en retrait par rapport à la stratégie de développement de la mobilité propre de 2016. Celle-ci prévoyait 560 000 véhicules électriques en circulation fin 2020. Il y en a aujourd’hui la moitié, soit environ 280 000.
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Surtout, ces progrès sont annihilés par l’explosion des ventes de SUV, ces grosses berlines aux faux airs de 4 × 4. Plus lourds et moins aérodynamiques, ils enregistrent des émissions de CO2 bien supérieures aux autres modèles. Très à la mode en ville, les SUV représentent aujourd’hui 10 % des ventes de véhicules électriques et 70 % des ventes d’hybrides rechargeables.
Durcissement du malus
Aussi, à l’unisson de la convention citoyenne pour le climat et de la Cour des comptes, le RAC propose l’introduction d’un malus reposant sur le poids des véhicules afin d’inciter les Français à acheter des petits véhicules, moins émetteurs et aussi moins chers. Selon les calculs du RAC, ce malus pénaliserait davantage les constructeurs étrangers (BMW et Volkswagen) que les marques françaises comme Renault avec sa petite Zoé électrique. Pourtant, soucieux de ménager son industrie automobile, le gouvernement a abandonné cette idée dans le projet de loi de finances pour 2021 présenté lundi 28 septembre. Il a préféré retenir un durcissement de l’actuel malus, basé sur les émissions de CO2. Son seuil de déclenchement sera abaissé de 138 à 131 grammes par kilomètre en 2021, puis à 123 g en 2022. Dans le même temps, son plafond sera doublé pour atteindre 40 000 euros en 2021 pour les véhicules émettant plus de 225 g puis 50 000 euros l’année suivante.
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Des mesures jugées « insuffisantes, incohérentes et non dissuasives » par Agathe Bounfour, responsable transports au RAC. Ainsi, en 2019, relève l’étude, seul un tiers des voitures neuves ont été soumises à un malus et, pour 95 % d’entre elles, il était inférieur à 1 000 euros. Pour les experts du réseau, le seuil de déclenchement du malus doit être aligné sur l’objectif européen : 95 grammes dès 2021. Ils proposent aussi de déplafonner son montant comme cela se pratique déjà en Norvège ou aux Pays-Bas. Quarante pour cent des recettes du malus seraient alors apportées par les ventes des 5 % des véhicules les plus polluants. Une « application plus juste du principe pollueur-payeur », commente Agathe Bounfour.
Le bonus écologique, lui, après avoir bénéficié d’un coup de pouce en juin dans le cadre du plan de sauvetage de l’industrie automobile, va être raboté. La prime maximale pour l’achat d’un véhicule électrique sera ramenée de 7 000 à 6 000 euros. Le RAC note que, si le bonus a soutenu l’achat de voitures électriques, il devrait, comme le malus, inclure des critères de poids et de prix et se recentrer sur le financement de petits modèles, moins onéreux et moins polluants. Un premier virage a été amorcé en janvier avec l’exclusion des véhicules de plus de 65 000 euros et une dégressivité à partir de 45 000 euros.
A l’instar de la Cour des comptes, l’étude souligne que les dispositifs d’aide se fondent uniquement sur les émissions de CO2 et ne prennent pas en compte les rejets de polluants atmosphériques comme les particules fines ou les oxydes d’azote, gaz très toxique dont les diesels sont la principale source. C’est particulièrement flagrant pour le mécanisme le plus récent, la prime à la conversion. Lancée en 2018, elle est censée inciter les Français, et en particulier les ménages les plus modestes, à troquer leurs vieilles voitures pour des modèles moins polluants. Avec plus de 800 000 primes accordées, le dispositif est « positif » sur le plan environnemental (baisse de 440 000 tonnes de CO2 les deux premières années) et social (les trois quarts des bénéficiaires ne sont pas imposables), selon le ministère de la transition écologique.
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« Piège social »
A y regarder de plus près, le bénéfice environnemental est relativement faible avec un gain limité à 7 grammes pour les véhicules neufs acquis avec la prime par rapport à la moyenne des véhicules neufs vendus en 2019. Surtout, elle finance essentiellement (à plus de 85 %) l’achat de voitures thermiques (diesel et essence). Aussi, le RAC demande-t-il au gouvernement de mettre fin à ce « piège social » de la « trappe à pétrole » qui soutient la vente de véhicules avec lesquels les Français ne pourront bientôt plus rouler. A l’instar de Paris, où sera interdite la circulation de tous les diesels d’ici à 2024 puis essence en 2030, une dizaine d’agglomérations se sont engagées à déployer des zones à faibles émissions qui banniront progressivement les voitures les plus polluantes.
Sur le plan comptable, l’étude estime que l’introduction d’un malus poids combinée à une augmentation de l’actuel malus CO2 pourrait rapporter entre 3,4 et 4,4 milliards d’euros de recettes à l’Etat en 2021. De quoi financer 750 000 véhicules avec la prime à la conversion et 150 000 avec le bonus écologique. Le RAC défend une évolution plus ambitieuse : allouer ces recettes supplémentaires à la promotion d’autres modes de déplacements que la voiture individuelle en ouvrant la prime à la conversion à l’achat d’abonnements de transports en commun, de services d’autopartage ou de vélos. »